Monsieur le Président de la République, Cher Lula,
Recevez mes salutations quilombistes en cette Journée Nationale de la Conscience Noire.
J’ai reçu de vos mains, monsieur le Président, des distinctions qui me rendent très fier, et que je reçois au nom du peuple afro-descendant de ce Pays, car j’estime que les mérites lui reviennent. Pour cette raison, je ne pourrai pas m’empêcher de m’adresser en ce jour au peuple noir, à tout le peuple Brésilien, et à nos gouvernants, en la personne de Votre excellence, car le bonheur du noir, comme dit le poète, est un bonheur guerrier.
Alors que l’octroi de la Grande Croix de l’Ordre du Mérite culturel et mon inclusion au plus haut niveau de l’Ordre du Rio Branco me remplissent de joie, j’observe que les inégalités raciales au Brésil restent aiguës et profondes.
Je reçois des nouvelles au quotidien relatives à des recherches quantitatives qui confirment ce fait. Aujourd’hui seulement par exemple, nous avons appris de la part de chercheurs de l’UFRJ que les principales causes de mortalité des hommes noirs sont des actions violentes, comme les homicides, tandis que les blancs meurent d’avantage de maladie.
Toujours aujourd’hui, on a également su que la Fondation SEADE a déterminé que les blancs occupent quatre fois plus de postes de direction que les noirs.
Comme vous, monsieur le Président, des secteurs puissants, détenteurs des moyens de communication de masse au pays, mènent actuellement une campagne visant à discréditer ces statistiques et à vilipender ceux-là, qui pensent que des politiques publiques de lutte contre ces inégalités sont nécessaires. Ils nous accusent encore de racisme, en utilisant l’argument fallacieux selon lequel le critère de classification raciale, et non celui de la réalité sociale, cause des divisions dangereuses dans notre société.
Il y a des décennies que les intellectuels noirs affirment que la race n’a rien à voir avec la biologie ou la génétique, mais que, en tant que catégorie socialement construite, il s’agit d’une dure réalité discriminatoire basée sur les caractéristiques d’apparence.
Monsieur le Président, vos récentes visites en Afrique ainsi que d’autres initiatives comme la promulgation de la loi 10.639/03 [2] et l’application de la politique des quotas réparatoires dans les universités a permis l’avènement d’un climat qui permet de débattre sur des questions sérieuses qui sont occultées ou niées par les élites retranchées dans le monde académique et dans l’univers médiatique. À présent, dans une période si encourageante, ils fomentent, avec une agressivité grandissante, cette campagne de déstabilisation de la société, dans laquelle la désinformation délibérée rivalise avec la malveillance raciste, qui vise à intimider tout un peuple et à tromper toute une nation.
Nous sommes témoins que, à la chambre des représentants du peuple, après avoir reçu en grandes pompes les porte-parole de cette campagne, on a demandé de “la fermer” aux noirs qui ont usé de leur droit démocratique légitime de présenter leurs demandes.
Il est effrayant de penser que les législateurs, capables d’une telle agression, se prononceront d’ici quelques mois sur le Statut de l’égalité Raciale, dont les propositions ouvrent de nouvelles perspectives pour l’amélioration des relations socio-raciales et portent un vent d’espoirs pour la population noire méprisée.
Monsieur le Président, la Ministre du SEPPIR, notre chère Matilde Ribeiro, vous a présenté en ce jour le Plan National de Promotion de l’égalité Raciale, fruit d’un processus de délibérations pour la construction de ces politiques publiques.
Je vous invite aujourd’hui à ne pas faiblir dans votre décision de les appliquer, car notre population espère des politiques effectives, ce qui signifie l’investissement de ressources humaines et budgétaires.
Il y a longtemps, les économistes dévoués au peuple brésilien parlent de la nécessité pour notre pays de croître, pour valoriser, pour absorber ces légions de jeunes qui, chaque année cherchent à pénétrer le marché du travail.
Nous avons accumulé des décennies perdues faute de développement économique intensif dans l’emploi, avec les conflits de races et de genres, associées à la réduction du rôle de l’état dans le secteur social. Comme conséquence, les problèmes sociaux atteignent un niveau dangereux. Voyez la violence dans nos cités dont le taux égale celui d’un génocide, au sein de la jeunesse noire, ainsi que ceux vivant dans la favela.
Je reconnais la grande avancée que signifie la Loi 10.639/03, qui vise à récupérer notre histoire et notre mémoire et de les transformer en patrimoine culturel de l’ensemble du peuple Brésilien, mais je dois élever ma voix pour dire que cette loi n’est pas appliquée, ou alors son application est rendue difficile par tous ceux qui refusent le changement dans les relations de domination raciale de notre pays.
Je reconnais l’avancée due au Programme Brésil Quilombola, et j vous invite, monsieur le Président, à continuer à investir encore plus dans ce secteur, malgré la campagne médiatique qui qualifie les programmes de cette nature de criminels et racistes, dans le but de mettre en doute leur moralité et de favoriser les intérêts fonciers établis.
Une vague de violence est encore lancée, dans le but également de favoriser de tels intérêts, un Quilombola ayant été assassiné aujourd’hui dans l’état d’Espírito Santo. Il est nécessaire d’avancer dans l’immatriculation des terres et de faire valoir les droits des communautés quilombolas contre les menaces constantes d’expropriation de leurs territoires. Par souci de cohérence, nous ne pouvons pas célébrer Zumbi du Quilombo dos Palmares, héros national, alors que les populations des quilombos du Brésil sont agressées et voient leurs droits bafoués!
D’autre part, en ma qualité de cofondateur et ancien président du Mémorial Zumbi, mouvement de la société civile ayant conduit à la création de la Fondation culturelle Palmares et à l’expropriation des terres de la Serra da Barriga, je viens vous informer que, lors d’une cérémonie civique qui a eu lieu sur les terres de Palmares, il manquait les drapeaux du Brésil, de l’État d’Alagoas, et de la Municipalité d’União dos Palmares. Il s’agit là d’un symbolisme fondamental. Cette date, cette lutte et les politiques publiques d’égalité raciale sont les bannières du Brésil et de ses gouvernements locaux et d’états, pas seulement des afro-descendants!
Enfin, je souhaite dire que j’ai la foi aux forces qui veulent transformer mon pays. J’ai également la grande conviction que les énergies qui jaillissent du cœur de Zumbi dos Palmares et de tous nos ancêtres accroîtront davantage encore la conscience noire dans ce pays. De noirs et de blancs qui rêvent le bon rêve de la liberté et de la justice.
Veuillez, monsieur le Président, accepter nos salutations quilombistes, car le quilombisme est une proposition pour la Nation. Zumbi vit en nous, hommes et femmes de la résistance antiraciste et de la construction d’un Brésil juste et démocratique. Axé!
— Écrite par Abdias Nascimento en 2007
[1] | Lettre original (en Portugais) |
[2] | https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/203669/filename/Article_Ordinaire-_sept._2006.pdf |